Jane Planson, artiste contemporaine, a peint dernièrement une série de portraits de femme qui semblent comme un écho lointain aux considérations d’Aristote. Elle a intitulé ses peintures : Du sang, de la lymphe et du lait. Chez Aristote, le lait est un mauvais sperme. Seul le corps des hommes est suffisamment chaud pour transformer le sang en sperme, c’est-à-dire en substance dotée du pouvoir de créer. Les femmes, elles, ne sont pas assez chaudes. La transformation s’arrête au lait. Derrière cette explication venue de la Grèce ancienne du rôle des humeurs corporelles indispensables à la vie se cachent l’organisation sociale et les rapports entre ses membres. Il est assez facile de deviner quel genre avait les rênes de l’organisation sociale et de la politique dans la Grèce d’Aristote. La référence aux humeurs dans les titres de Jane Planson place aussi ses œuvres dans le discours sur la société et ses représentations. De plus, chaque femme des portraits de Jane Planson est floue.
De la matière semble soit s’évader de son corps, soit y arriver. Les corps sont en déconstruction ou en reconstruction. Il n’y a aucune inertie. En utilisant des humeurs corporelles dans le titre et en refusant l’inertie, Jane Planson parle de la société, de ses valeurs et de place que la femme y a. Chacun accédera au sens des portraits en fonction de la symbolique qu’il associe aux humeurs. Chacun des sens trouvés sera sans doute différent des autres, dépendant de la personnalité qui regarde, mais chaque sens sera très certainement accroché au social, au politique. Chacun verra aussi dans les tableaux de Jane Planson que la place de la femme n’est pas statique, qu’elle est en mouvement, se déconstruit, se reconstruit. Là est peut-être une des leçons des peintures : rien n’est figé, l’action l’emporte sur l’inaction. Ses peintures invitent à s’interroger sur la société et ses représentations et bannissent le pantouflage intellectuel.
A l’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education, la Galerie La Passerelle présente actuellement les œuvres récentes de Jane Planson, artiste attachée à la Galerie Duchoze que dirige René Réthoré à Rouen. Miroir d’un présent chaotique qui trouve ses résonances dans la vie intérieure de l’artiste, cette exposition interpelle la notion de réalité.
Si le portrait semble jouer un rôle majeur dans la démarche créatrice de Jane Planson, l’artiste se défend de se limiter à ce genre. L’exposition de ses derniers travaux montre à quel point elle est capable d’enfreindre les limites dans laquelle certains, par paresse, seraient tentés de la confiner. De nouvelles voies d’exploration, voisines de l’abstraction, s’ouvrent en effet à elle, en même temps qu’une certaine approche (probablement métaphorique) du paysage. Bien plus que de simples portraits, donc, c’est d’humanité, d’atmosphères et de relation qu’il s’agit. Tiraillée entre corps et esprit, théâtre intime et soubresauts planétaires, apparences et interrogations, l’artiste désigne plusieurs de ses modèles comme autant de séquences de la réalité. Une réalité déstabilisante et blessée qui, en partie sans doute, lui échappe et qu’elle tente de cerner comme une donnée fugace en perpétuelle métamorphose, reflet troublant de la vie même. Certains titres interpellent quant à la nature (ou la définition) de ce qui est montré : Sans doute un théâtre à Porto, L’hiver déjà, Des airs d’intérieur (on croirait déchiffrer désert ), Du sang, de la lymphe et du lait. Qu’est-ce qu’un lieu, une présence, une vie ?
Entrer dans le propos de Jane Planson, s’attacher au regard grave et singulier qu’elle porte sur la vie (la sienne est-elle dissociée du destin commun de l’espèce ?), c’est accepter le principe d’incertitude. Tout est faux mais tout est réel, a écrit Denis de Rougemont, auteur poussant la réflexion dans ses tout derniers retranchements. Qu’en est-il du sens et de la destinée humaine, comme de ces illusions dont on se plaît à la bercer, à l’étourdir pour mieux l’emprisonner ou la soumettre ? Peindre, comme l’a écrit Henry Miller, ne serait-il pas une manière de renaître et de se remettre à aimer, exercice qui ne cesse qu’au moment de la mort et encore ? La thématique du corps, lieu même de la dramaturgie plutôt sombre de Jane Planson, est là pour nous rappeler que nous sommes de chair et de sang et que rien peut-être n’existe en dehors de nos émotions et de nos attachements profonds.
Galerie La Passerelle, Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education, 2, rue du Tronquet, 76130 MONT-SAINT-AIGNAN. De 9h à 18h et du lundi au vendredi. Tél. 02.35.14.80.50. Jusqu’au 30 juin. A ne pas manquer.
Tu la regardes. Ses yeux droits plantés dans les tiens vacillent, est-ce qu’elle flotte ? Comment capter sa vérité ? Tu te promènes dans l’espace de la toile. Tu notes. L’enchevêtrement du tracé des contours. Oublier ce qui nous hante. Mettre en forme dans l’atmosphère. Métamorphoser la figure du souvenir. Restituer la tension du corps, le repli, les jambes qui s’arcboutent, le visage qui fuit ; estomper, modeler, chercher la hachure, l’organique, renforcer le contraste d’ombre et de lumière, les larmes et le sang. Le sperme, la cire, la sueur. Tout ce qui du corps.
Tu te souviens alors de ces mots entendus, lus, dans un autre temps, un autre lieu, « Ephémère inoubliable »
Elle, elle coule. Elle pourrait te regarder dans les yeux. Attendre que quelque chose arrive. Elle ne sait pas. Peu importe. Mais quelque chose.
Elle a préféré couler. Elle aurait pu dire : « Ceci est mon corps » mais cela fait longtemps qu’elle a laissé tomber tous ces trucs christiques. C’est pourtant dans les interstices de la peau, dans les trous qu’elle est, tout simplement. Elle a planté son regard dans le tien et elle attend.
Que pourrait-elle dire ? Ou faire ?
Sa bouche est fermée. Elle a peur que les mots ne la trahissent. Pourtant, dans le silence de la toile, ils se ruent et dévalent. Ils bousculent tout. Comme si elle attendait la phrase juste qui viendrait la délivrer.
Tu notes : le genou relevé, le buste penché vers l’avant comme une marathonienne prête à s’envoler. Le regard. En ligne d’horizon.
L’attente. Le sang blanc. Le sang rouge. Quelque chose d’une impossible consolation.
Le corps éprouvé, offert. Fermé. Tout vient se contredire.
Elle est. Gracile et pourtant ancrée dans sa chair.
Pénétrée de toutes les époques mais au présent.
Elle te regarde. Elle t’interpelle.
Tu notes : la solitude. La texture de craie en toile de fond, comme une peau pour faire face à tout ce vide. Il y a des éclats, des coulures. Ça gicle autour. Ça coule. Dessus dessous. Alentour. Des couches de vie.
Quand elle relève ses cheveux, ses yeux se font plus sombres. Quand ils coulent sur ses épaules, il y a comme un travail d’effacement des traits du visage. Le regard s’adoucit. S’échappe ? Reste la présence de la posture. Prête à vivre. Peut-être.
Enfin.
Le drapé autour du corps nu. Qui la fait encore plus nue.
Tu la trouves. Eternellement mortelle.
Tu la trouves. En désir. Désirable, et pourtant comme à côté d’elle-même, en présence absence. Elle te rappelle ces femmes légèrement iconiques dans lesquelles on peut se projeter. Oui, mais pas tout à fait. Comme une distance qui viendrait pénétrer cette familiarité. Un à côté. Elle a quelque chose de cet autre qui se dérobe. Toujours.
Dans son regard tu lis comme l’attente d’un voyage. Un retour.
Tu notes : sa solidité, son corps bien affirmé dans la chair. La cire qui coule et s’étale dans l’ancre de la toile. L’éclat blanc mat de la peau et les touches de rose, là, et sur la lèvre supérieure. Elle se fond dans la matière comme si son corps devenait poreux. Ou alors l’inverse : la peau qui diffuse sa texture tout autour. La peau qui pénètre l’espace.
Et quand son visage s’efface, elle jette au-delà des morceaux de sa tête. Ça gicle au-dessus comme une auréole.
Elle s’érige. Elle est sa propre ligne d’horizon. Elle la prolonge et la recommence indéfiniment tandis que le temps lui-même semble venir se déposer sur la toile.
Elle n’a pas peur. Elle est loin.
Elle sait. La force de son corps.
Elle n’a pas peur. Elle est là.
Ici même.
Florence Daunat
http://www.lacritique.org/article-jane-planson-la-peinture-comme-experience-d-aimer
Enseignant à l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles depuis 1989. Christian Gattinoni pratique écriture et photographie depuis le milieu des années 1970. Il mène un travail de critique d’art qui s’est principalement intéressé au rapport entre photographie, autres arts et sciences humaines dont le dénominateur commun reste le corps. Il partage son temps entre la critique d’art, le commissariat d’exposition et la pédagogie de l’image.
Il n’y a d’abord que cette surface primordiale où ne se joue qu’une aventure picturale qui s’inscrit dans une longue histoire réappropriée au féminin. Cette surface à la matière si prégnante n’offre pas reflet mais miroir sans tain qui donne sur la chambre du présent. Certains insisteront sur les visages qu’ils imaginent en représentation comme à l’arrière plan. Jane Planson ne fait pas de portraits, elle prolonge d’intenses moments de vie qu’elle incarne, elle immortalise des rencontres.
Même si beaucoup de ses toiles portent un prénom souvent associé à une qualité saisie dans l’instant, chacune synthétise de fait plusieurs modèles croisés au quotidien. Tous n’ont pas forcément posé. Si parfois l’atelier est bien froid et les formats fort grands le modèle en occupe singulièrement le centre.
Quel étrangement que ces figures souvenirs d’humains ami(e)s et amants qui ont accompagné l’artiste. Non ce n’est pas hystérie cette rage de peindre pour les sauvegarder de l’oubli. Saisis dans l’épiphanie de leurs sensations par Jane Planson leur peau devient comme la chimère de Michel Serres. Peint elle des vanités elle les légende « amour fou » ou « tendre » et leur attribue un numéro d’ordre. Comme si renommer la mort, la cadrer hiérarchie lui retirait un moment son action de nuisance. Comme si son intimité quotidienne dans l’atelier la repoussait dans le reste du monde qu’elle ne méprise pas.
En prémisse au retour du réel les années 2000 voient l’espace de la peinture se scinder comme une scène où se joue l’éternelle aventure d’une possible rencontre amoureuse ou d’un improbable conflit. Quand ses années 2003 et 2004 sont traversées par des figures de corps travaillés par le politique, par la violence de l’histoire contemporaine elle en assume la géographie humaine. Parce que toujours elle rebondit dans le dialogue et sait renouer avec la fluidité du vivant.
Si elle réussit à faire plastiquement l’économie du décor et des objets c’est pour mieux cerner la carte mentale d’une personnalité. Fut-elle imaginaire ou pour le moins idéalisée, mais toujours inspirée d’un des ces proches qui comptent. Tous réunis ils ne fondent ni corpus ni famille, pas plus communauté, juste échantillon des vivants d’un siècle et demi en quête d’authentique passion. Pour Jane Planson peindre requiert cette passation d’une exigence essentielle, d’autres l’affirment simplement aimer, elle en décline tous les modes et tous les temps.
Christian Gattinoni
Ils paraissent comme enfoncés dans la matière... La peintre semble les faire revenir comme on réanime des souvenirs et ils se tiennent là, avec leurs regards parfois perdus dans une atmosphère de brume et de sommeil.
Outre la volonté de l’artiste, c’est sans doute l’aspect technique qui vient efficacement accentuer son propos... Le sujets évoluent dans un ailleurs, dans un autre monde, onirique et fantomatique.
Galerie Tres, 3 rue Bossuet, 44000 Nantes
Jane Planson pratique, à sa manière, l’art du portrait. Elle montre des hommes et des femmes seuls, condamnés, un jour, forcément à disparaître.
Grandes solitudes
(...) Elle campe, de préférence, des portraits qui occupent des toiles généralement de grandes dimensions. Originaire de la région parisienne, elle a installé son atelier à Rouen. Après avoir travaillé, comme critique, pour des revues d'art, Jane Planson se consacre depuis plusieurs années à la peinture et à l'enseignement (elle est agrégée d'arts plastiques). Elle se situe dans la lignée de la nouvelle figuration et se rattache aux écoles du Nord de l'Europe. Elle a, ces 20 dernières années, exposé en France (à Châteauroux) et dans plusieurs pays.
Elle trouve l'essentiel de son inspiration auprès de l'homme, de ce grand solitaire, perdu dans son monde, paré fréquemment de mélancolie, voire de souffrance. Elle représente des hommes et des femmes, seuls ou en couples. Elle explore ainsi le monde des humains, par nature, voués à disparaître. Le regard de ces êtres assure un rôle essentiel même s'il n'est que rarement dirigé vers le spectateur. L'artiste pratique ainsi l'art du portrait dans un univers évanescent, sans décor ou presque. C'est, par exemple, un homme et une femme dans un bistrot, embarqués dans des Déconnections. Lui parle, agite une main. Mais, c'est la femme, aux traits plus affirmés, arborant une longue chevelure, qui retient l'attention. Elle semble si loin de son compagnon. C'est Annick L lisant, allongée sur un lit, portant un pull rouge. Elle semble à mille lieux de nous, dans son monde, accaparée par sa seule lecture. Parfois, comme dans Résilience Alger, le visage se fait plus expressif. Dans toutes les toiles, l'homme, la femme, le couple, sont les uniques sujets. C'est ainsi que la peinture de Planson, servie par une technique affirmée, interpelle et suscite mille interrogations.
Dans le livre de Patrice Vibert et de Didier Seraffin (Jane Planson, la porte n'était pas complètement fermée, disponible à l'entrée de l'exposition), ces phrases prennent tout leur sens : « Ce sentiment inexprimable d'être seul, vide au fond de soi, sans regard : le tableau, lui, peut combler un peu cette ornière qui se traîne parfois en nous. Il peut résoudre l'équation de notre déliquescence, accréditer un déficit tout en l'apurant par une espèce de douce, lente, agréable et fausse escroquerie, celle qui consiste à surseoir à tout désir et à accepter l'instant plein et silencieusement tonitruant ».
Jane Planson lutte à sa manière contre l'effacement et nous interroge sur nous-mêmes. Fort heureusement, des visages sont parfois plus forts que l'oubli consécutif à toute disparition. Le visage évolue, comme il l'a toujours fait, avec notre monde dont il est un miroir. Jane Planson peint ainsi notre temps en fixant des instants d'intimité.
Robert Guinot
Si le palimpseste dévoile l'histoire d'une réapparition, les papiers de Jane Planson procèdent plutôt à l'inverse d'une affaire de disparition. La linéarité du trait, c'est à dire la réalité de l'esquisse se recouvre sous le pigment et la cire.
Avec la nudité de la ligne noire qui se trouble ou s'estompe sous l'invasion de la surface, la figure aussi, comme sujet, s'absorbe dans l'agitation de la couleur et la pulsion de la matière. Si les corps ou les visages subsistent, c'est tronqués ou gommés, ou bien encore lissés comme le relief des vieilles pierres par les coulures et les lactescences ;
le plus souvent ces corps nus sont de toute façon partiels. Au point qu'il n'y a plus de personnage, ni d'histoire mais un équilibre toujours fragile entre la forme et le difforme, entre le difforme et l'informe.
Un retour à l'abstraction s'opère ainsi sur le corps même de la figuration. Cependant dessin et peinture s'affrontent moins qu'ils n'interrogent sur la posture du modèle et l'imposture de l'être dans la confrontation du geste qui saisit à l'autre qu'on saisit. Aussi le corps se dissout-il dans l'ambivalence des sexes et des âges : au temps ponctuel de l'observation succède l'emprise évasive de l'étalement et l'aléa des écoulements.
Parfois encore, le nu ne s'offre pas mais se fond sous le feu et le jaillissement de la cire ; ou s'il s'offre encore, c'est comme s'il jouissait dans un orgasme inconscient de sa propre disparition même, comme s'il s'agissait en quelque sorte de ne jamais en finir de finir.
« Mais le moment vint où ensemble ils dévalèrent vers le même creux et c'est dans ce creux qu'ils se rencontrèrent à la fin. » (Beckett, Molloy). Erick Denis, poète, comédien et enseignant.
Si l'univers peut être divisé en deux mondes, le monde des hommes et le monde des choses, il semble que Jane Planson a choisi irrévocablement à travers son œuvre le monde des hommes. En dehors de quelques éléments de décor, les choses ont disparu de cet univers pictural.
Pourtant, il ne s'agit pas non plus d'une glorification de l'humain car ce monde est traversé par une inquiétante fragilité. Les hommes sont aussi voués à la disparition, ou plutôt à l'effacement. Si la perte des choses semble définitive et donc en dehors du temps, l'effacement de l'humain prend une dimension éminemment temporelle.
Pour cartographier cet univers, il est bon de choisir -arbitrairement sans doute – deux pôles diamétralement opposés : Dubaï qui va aux confins de cet effacement et Adlène Amrane qui présente encore une permanence de l'humain, permanence qui permet aussi une présence des choses.
Si Dubaï marque un repère dans l'espace pictural de Jane Planson, c'est avant tout parce qu'il définit un degré zéro. Le monde des choses a disparu car même son absence n'est pas peinte. Le fait de laisser une partie du tableau vierge de toute peinture indique la valeur créatrice de la matière picturale. Ce qui n'est pas peint n'a aucun droit à l'existence. Pourtant, l'humain ne remplace pas cette absence, il ne peut que s'y juxtaposer. A la limite, il est même envahi par elle. Le continuum entre le personnage de gauche et le monde des choses, s'il est encore possible de parler ici de monde, indique que le monde des humains ne peut être qu'évanescent. Mais, il faut distinguer ici deux figures de l'effacement. La première est l'effacement des choses, elle est synonyme de disparition ;
la seconde est l'effacement de l'humain, et plus précisément du visage. Mais elle n'en est pas la disparition, elle en est peut-être la plus intense manifestation. En effet, l'œuvre de Jane Planson semble être un ressassement de la thèse lévinasienne. L'épiphanie du visage ne signifie pas que ce dernier se montre. Au contraire, son apparition n'est possible que dans son retrait. S'il était entièrement découvert, il ne serait plus visage mais surface, masque.
Si le visage ne me regarde pas, son regard est présent. D'autant plus qu'il n'est pas absorbé par l'objet regardé. Beaucoup d'œuvres comme In out laisse l'individu d'autant plus présent que la seconde partie du tableau, celle que cette jeune femme regarde, n'est pas peinte. Ce vide pictural replie l'individu sur lui-même. Il devient une pure apparition ainsi que son regard, regard qui n'est qu'un regard intransitif.
Cette épiphanie du visage problématise la relation à autrui, même si celle-ci est toujours possible. Le tableau Dubaï est à ce sujet extrêmement ambigu. A nouveau, la séparation entre les deux parties du tableau isole les personnages et ici les réunit. Mais leur position et leur couleur interdit toute véritable relation à autrui. S'ils semblent en face à face, ils n'ont pas un statut équivalent. Le personnage de gauche représente par sa blancheur et son effacement l'épiphanie du visage alors que l'autre par sa noirceur et sa présentation de dos est réduit à la surface de la chair. Visage et chair, corps et esprit, ces deux personnages ne semblent être en réalité que le déploiement d'une même et seule personne, ses deux facettes étalées sur la surface de la toile.
Même s'il s'agit ici d'une véritable relation, la construction du tableau Ancora chez Jorge montre à nouveau comment la proximité entre les deux personnages peut se transformer en distance la plus extrême. Le blanc des murs les enferme dans une partie du tableau, le noir les enferme dans leur corps. Enfin, la différence de technique pour composer les deux personnages les rend inaccessibles l'un à l'autre. Deux effacements : le personnage de face est dans la pénombre, l'autre est quasiment de dos. A nouveau ce qui reste, c'est le regard. Le regard qui circule entre les deux. L'univers de Jane Planson n'est donc pas celui de la séparation radicale et l'abandon à soi. A travers cet art du portrait, c'est aussi la difficile sortie de soi pour créer un lien avec l'autre qui est questionnée. Si tous les personnages de Jane Planson sont dans des attitudes mélancoliques, méditatives, ces dernières proviennent sans aucun doute de la présence inquiétante de l'autre.
Dans cet univers de l'évanescent, certains tableaux tels Adlène Amrane marquent une victoire sur la disparition. Le jeune homme présente son visage frontalement et paisiblement. Celui qui est vu montre ce par quoi il se fait voyant. Paradoxalement, ce retour de la présence de l'humain rend à nouveau possible la présence du monde des choses. Les choses n'y sont pas présentes par leur diversité, mais si les murs qui servent de décor, tout géométrisé qu'il soit, ont acquis un droit à l'existence. Pourtant, ce moment de réconciliation entre le monde des choses et le monde de l'humain n'est qu'une illusion. Le mur qui cache le bras du jeune homme nous dit bien que c'est l'humain qui sera à son tour menacé de disparition. Ce que chaque tableau nous raconte, c'est donc cette lutte souterraine entre ces deux mondes pour exister.
Patrice Vibert, octobre 2010
Après une brève interruption due à la période estivale, le Théâtre du Moulin d'Andé accueille depuis le 30 août une nouvelle exposition consacrée aux peintures récentes, de Jane Planson.
Née à Saint-Germain-en-Laye en 1966. Jane Planson, qui vit et travaille à Rouen, est à la fois peintre et critique d'art. Professeur d'arts plastiques au Lycée André Maurois d'Elbeuf, elle présente régulièrement ses œuvres à la galerie Reg'Art-Confrontations de Rouen, dont Daniel Amourette assure sans complaisance la programmation artistique.
Essentiellement tournée vers le portrait. Jane Planson s'intéresse à la condition humaine, ponctuée de drames, de rencontres, de ruptures et d'exils. Elle en traduit l'impact sur la vie intérieure des êtres dont elle nous livre la silhouette ou le visage, allant parfois jusqu'à traquer certains modèles à bout portant. L'ambivalence des sentiments est également l'un des terrains de prédilection de sa recherche. Cette quête toujours recommencée s'efforce de cerner l'identité mouvante des personnages qu'elle met successivement en scène.
Usant d'une technique très personnelle à base de cire, l'artiste parvient à susciter des émotions complexes. Quels secrets, quelles interrogations se cachent derrière ces visages tourmentés, ces corps mis à l'épreuve de pérégrinations multiples ? A quelles questions nous renvoient-ils dans leur impérieuse gravité ? Chez Jane Planson, la nudité elle-même devient énigmatique, comme le masque ou l'uniforme derrière lequel chaque homme se dissimule ou se protège des autres.
La personnalité complexe de Jane Planson revêt ses sujets d'une sorte d'inquiétude métaphysique. Ainsi, hommes et femmes apparaissent souvent isolés dans une sorte de halo ou de brume indécise, comme pour mieux renforcer l'impact de leur solitude. On pense à l'Etranger de Camus ou au héros de la 25ème Heure qui ne sait plus exactement qui est l'ami et l'ennemi tant l'existence a mis son endurance à rude épreuve. Le caractère poignant des peintures qui nous sont proposées est la troublante illustration de l'inconfort existentiel contemporain.
Luis Porquet, critique d'art
Le journal d’Elbeuf
C'est une exposition particulière de Jane Planson qui ouvre un nouveau cycle de rencontres au Théâtre du Moulin d'Andé où ses œuvres seront présentées durant tout le mois de septembre. Professeur d'arts plastiques, critique d'art et peintre, cet artiste a fait du portrait un vaste champ d'exploration. Elle y exprime ses interrogations face à un monde soumis aux violences et aux ruptures de toutes sortes.
Bien qu'elle soit née à Saint-Germain-en-Laye, c'est en Normandie que Jane Planson a choisi de vivre et de travailler. A Rouen, les habitués de la galerie Reg'Art-Confrontations ont pu voir ses œuvres à plusieurs reprises. Elle a également exposé à Amiens, Montrouge, Paris et en différentes régions de France. Professeur d'arts plastiques, cette intellectuelle n'oublie pas non plus le critique qui veille en elle. Le champ de l'art contemporain, dont elle connaît les séductions et les chausse-trappes, n'a guère plus de secret pour elle. Elle l'aborde en connaissance de cause car son travail de peintre l'aide à cerner les interrogations dont son «métier» lui-même fait actuellement l'objet. Pourquoi choisir tel support plutôt que tel autre et consacrer de longues heures à un tableau quand les moyens technologiques offrent à d'autres tant de voies nouvelles moins contraignantes ? Sans doute est-ce une question de rapport individuel à la durée. Face aux chaos de l'existence, une vie suffit à peine à se construire. La vidéo et les installations ne changent pas grand-chose à l'affaire. Tout au plus donnent-elles l'illusion d'être branché sur son époque, une ère faite de vide, d'esbroufe et de clinquant. La culture elle-même n'échappe pas aux tares de son temps.
Les 22 œuvres que Jane Planson expose au Théâtre du Moulin d'Andé sont représentatives de son travail actuel et des questions sans fin qui le sous-tendent. Constamment rongée par le doute, cet artiste appartient à la dynastie des inquiets, ceux qui n'ont de cesse de remettre le chemin parcouru en cause. L'âme humaine, dont elle essaie de cerner les paradoxes, lui offre un champ d'exploration à sa mesure. L'inconfort est pour elle comme un théâtre de l'absurde, un grand chantier à ciel ouvert régi par des tiraillements contradictoires. Il réunit tous ceux que la vie, un jour ou l'autre, a malmenés, qu'il s'agisse de drames intimes ou d'effroyables manœuvres guerrières. Entre ces pôles extrêmes, ce n'est finalement qu'une question de degré. Les exilés de la terre ressemblent aux exilés de l'amour. Et ce monde, manifestement, n'est pas régi par ce dernier. Outre la qualité bouleversante de ses portraits, ce qui frappe chez Jane Planson tient à sa technique (huile à la cire) et au caractère de ses titres. La plupart du temps, elle travaille sur de la toile brute dont elle laisse une partie intacte, ce qui fait que ses sujets semblent surgis de nulle part. Elle peut aussi bien désigner ses œuvres par le nom d'une ville ou d'un espace géographique (Madrid, Belle Isle), un simple repère temporel (15 octobre 2006) ou un verbe à l'infinitif (Persister), indiquant par là même combien ce qui l'anime est fugitif et lié aux caprices de sa météo intérieure. Tenter de dire ce qui se cache derrière un nom ou un visage, imaginer le bouillonnement de la vie sous l'apparence ou l'uniforme des personnages est, pour Jane Planson, un exercice sans fin. « Comment trouver la paix dans un monde aussi perturbé, aussi dévasté que le nôtre ! » semble dire chaque toile.
Luis Porquet, critique d'art
Les Affiches de Normandie, septembre 2009
Jane Planson est une jeune artiste dont la vision renouvelle l'approche picturale du portrait. La condition humaine, qu'elle aborde jusqu'en ses doutes ultimes, s'affirme comme le sujet d'une quête existentielle inépuisable. Choisissant l'angle du dépouillement, elle traque la solitude, et le mystère des âmes. Un regard interrogateur sur le sens de la vie et l'énigme du destin.
Travaillant sur les interstices, les décalages qui. très souvent, se créent entre les êtres, notamment entre l'homme et la femme. Jane Planson n'est pas de ces artistes qui cherchent à séduire à tout prix. La vision du monde qu'elle propose apparaît d'une certaine âpreté car elle remet en cause le rôle que chacun de nous est amené à tenir, par convention ou par échec le plus souvent. Scrutant les profondeurs de l'être et la solitude intrinsèque de l'homme, elle peut quelquefois susciter le malaise, mais sans complaisance ambiguë. Sensible à la souffrance et au doute que chacun affronte, elle a choisi l'association de l'huile et de la cire sur toile pour exprimer ce qu'elle perçoit. «Croyant faire une bonne chose, un peintre me peignit un jour, dit une chanson de l'Argentin Atahualpa Yupanqui. Mais il me peignit de l'extérieur, car ses yeux ne voyaient pas en moi». Dans son travail de portraitiste, Jane Planson semble bien taire tout le contraire. Allant au-delà des apparences, elle scrute la face cachée des êtres, non par voyeurisme, mais pour en exprimer la bouleversante humanité.
Les typologies qu'elle aborde reflètent l'extrême diversité des êtres et les questions qui les animent : Masculin ; Gery, Lille ; Samuel Barber agnus Dei ; Résilience, Alger ; Féminin ; Le chien de Lucien... Ses sujets, comme on peut le voir, sont souvent associés a un lieu, a une ville, sans qu'il y ait nécessité d'en reconnaître ou retracer le paysage. C'est au théâtre intime que Jane Planson s'intéresse, en climatologue de l'être. Parfois, le titre devient purement métaphorique : Persister ; Tendre (Crâne) ; Renversé ; Le renoncement du roseau ; Déconnections ; In out. C'est à l'aspect psychologique et aux questions les plus profondes que le peintre s'intéresse, d'où son absence de complaisance. D'une étonnante maturité, la peinture de cette jeune femme semble inspirée par plusieurs vies, comme si elle-même était passée par tous les stades dont elle rend compte avec une empathie, une compassion certaines. L'extrême complexité des relations entre les êtres semble être l'excitant de cette quête jamais achevée. Sur le plan expressif, Jane Planson tire un parti intéressant du vide, lui donnant souvent un aspect nébuleux, irréel, comme si chaque personnage était livré à ses seuls doutes. Elle n'hésite pas, à cette fin, à utiliser la toile brute.
Luis Porquet, critique d'art
Les Affiches de Normandie, mai 2009
(…) Il y a dans les toiles de Jane Planson un réveille-matin qui a appris le langage des sourds-muets ! un arbre qui se déplante et s’en va, une armée qui se transforme en grains de sable d’une vaste plage blanche, la mort qui s’égorge elle-même et une statue prenant dans ses bras une autre statue… Il y a bien d’autres choses dans les toiles de Jane Planson, car ces choses sont des rêves et nous les voyons dans les yeux de ces hommes et femmes, adolescents ou enfants qu’elle peint et fait vivre sous toutes les latitudes et heures de la journée. Cependant, et c’est le tour de force de cette artiste, rien pour nous distraire de l’essentiel, cette fusion entre le modèle et son peintre puis cette fission et filiation multiple entre le portrait et ses divers interlocuteurs et regardeurs que nous sommes. Pas de marqueurs contextuels ou historiques, pas de vêtements ou d’habits qui nous permettraient de situer géographiquement, socialement, chronologiquement ou simplement psychologiquement ses personnages. En cela ils me font penser au petit mendiant de Murillo qui pourrait tout aussi bien être un enfant famélique de Calcutta ou Bombay, oui, un mendiant d’aujourd’hui, de Battambang ou Djakarta, un gamin d’une bande de Mexico ou bien Bogotà ou Caracas alors que pour les biographes et historiens de l’art, il reste un pauvre dans l’Espagne du seizième siècle ; siècle d’or s’il en est. Quelle morale tirer de ce regard : que les haillons sont de toutes les époques !
Pas d’objets dans les toiles de Jane Planson, pas d’ustensiles, pas de broderies où l’œil pourrait s’abîmer, pas de draperies ou l’œil pourrait déraper, pas de ciel autre que la pensée où l’œil pourrait se perdre. Jane Planson remédie aux modes, elle dématérialise le temps et l’espace et les rematérialise – pour ne pas dire ressuscite – sur la toile, sur le lieu de la toile alors devenu confident, référent et résurgence, comme une grande gifle arrêtée où se trouveraient abolis les genres et les frontières.
Alberto Giacometti exprime par les lignes l’homme perdu en lui-même et dans le monde. Jane Planson explore la porosité de l’âme humaine et fait apparaître la superficialité explosive-explosée de l’apparence pour que surgissent soudain la germination et le grain du visage. Parfois c’est la passivité qui s’expose, l’attente, le silence, la solitude ; l’homme plongé dans la surprise d’exister, d’exister sans assurances et sans ailleurs, là, présent jusqu’à percer le prurit de l’innocence. Jane Planson nous apprend à tremper notre regard dans la corrosion et la connaissance. Parfois c’est l’extrême complicité avec la connivence et la conscience pure qui s’imposent. Le regard de l’art pour lutter contre l’humiliation, le retranchement de l’homme seul contre la meute pour rétablir une socialisation ayant enfin supprimé la violence ; l’utopie à de rares moments est bonne conseillère, à condition de n’être jamais mise en œuvre. Le tableau équilibre ce dilemme en offrant la distance et la réflexion, confondant les antagonismes dans une guerre devenue impossible.
Ce sentiment inexprimable d’être seul, vide au fond de soi, sans regard ; le tableau, lui, peut combler un peu cette ornière qui se traîne parfois en nous. Il peut résoudre l’équation de notre déliquescence, accréditer un déficit tout en l’apurant par une espèce de douce, lente, agréable et fausse escroquerie, celle qui consiste à surseoir à tout désir et à accepter l’instant, plein et silencieusement tonitruant.
Jane Planson ôte les masques de ses personnages, elle traque la vérité sans le chichi des parures, sans le flonflon des objets, sans le mirage des miroirs, sans le chiqué des clichés, sans l’alibi obscur du bonheur. Rien que l’os habillé d’instants, le regard curé jusqu’au point de fusion.
Ce qui relie les humains, cette part d’inconnu et d’étonnement que nous ne savons nommer, c’est ce que nous sentons, peut-être confusément mais avec intensité lorsque nous regardons une toile de Jane Planson. Nous ressentons comme une certitude nous envahir et nous convaincre que nous devons ancrer notre vision dans ce seul sentiment, celui qui jusqu’alors nous faisait défaut. Cette musique qui s’élève et nous pénètre, chasse nos peurs et fortifie une confiance et un espoir. Confiance et espoir en quoi me direz-vous ? Eh bien justement, confiance et espoir dans ce que nous pouvons devenir, meilleurs, plus grands. En un mot, accueillant, accueillant au monde et dans quelques êtres que la route jettera dans nos bras, dans nos jambes, dans notre cœur. Et ce n’est pas galvauder quiconque ou quoi que ce soit que d’écrire et dire cela. C’est simplement prendre du galon au grand air d’une sincérité trouvée ou retrouvée. Les toiles de Jane Planson sont des catharsis restées un peu cathares ! Le fond des dernières productions de Jane Planson est aussi le corps invisible des visages, comme une pluie remontant, comme une plainte jetée à pleines mains, à pleines brassées. C’est le portrait en lui-même qui se met à aimer l’alentour ! quelques peintres sont intemporels, Jane Planson est de ceux-ci qui ne nous expliquent nullement le monde mais nous le font vivre ; une seconde fois, par la force du trait, par la douceur du trait, par l’émerveillement d’un seul regard commun à deux visages.
Se planter devant les toiles de Jane Planson, c’est être face à un feu sans flammes. Seule la chaleur vous envahit, vous enveloppe. Sentir se dissoudre la blancheur de la lumière pour voir flamboyer les couleurs sourdes et rougeoyer lointainement les déclinaisons de la vie attentive à sa propre intensité. Regardant ce travail, nous ne trouvons aucun lieu, au contraire, il y a implication, condamnation, et peine. Toute une vie désormais à méditer, à s’abîmer dans le doux maelström d’un iris. Et reconnaître, reconnaître nos insuffisances, nos faiblesses, notre condition d’éphémères fleurettistes de la décision et du regret. Tout mêlé. Et de même rebondir sur le regard qui à son tour vous dévisage, vous interroge jusqu’au tréfonds de votre tremblement, celui qui détermine, trace et creuse les grandes lignes de votre existence. C’est ça, sentir se diffracter la blancheur de la lumière pour remuer les braises de l’abandon et faire revivre, à travers cet échange entre le tableau et le regardeur, cette vieille ivresse de la résignation et de l’espoir choquant leurs verres.
Regarder un tableau, c’est faire un inventaire, l’inventaire de quoi, de la solitude ? De l’absence ? Du couple ? Ou bien de l’invention de soi à travers l’autre ? Cette altérité qui est à la fois la boue qui colle à nos pieds et l’horizon qui motive et désespère.
En contrepoint des visages, les parties de corps, torses observés de dos que peint Jane Planson expriment comme une nostalgie lourde de signification et d’orientation. Nous errons ainsi dans notre être, sans tête, sans bras ou jambes, démembrés à jamais, victimes d’un bombardement, d’un abandon, d’une solitude irrémédiable. Chacun, tous, enfermés dans son corps, prisonniers d’une prise de judo que nous nous faisons à nous-mêmes. La souffrance et la puissance ainsi inextricablement mêlés, morceaux épars en quête d’une légitimité d’ange fantasmé, ailes découpées dans de petits morceaux de papier, ailes greffées au bœuf écorché. Nous sommes donc les bouchers de nos propres rêves, les avorteurs d’une réalité moins aléatoire que nos perceptions, ou plus grande que nos allées et venues dans la banalité de notre horreur. Vus de dos, nous sommes peut-être invincibles, nous sommes plutôt piteusement des dieux à deux sous, nous sommes osseux d’une espèce d’isolement, perdus dans un brouillard d’omoplates, dans des vapeurs de vertèbres. Ces « papiers » ne sont pas la face cachée des visages des autres toiles ou des vieilles lunes habituelles et rabâchées. Ils sont l’empilement de jours frustres, pages d’un agenda que chaque jour nous déchirons…
L’efficacité d’un tableau se mesure parfois. Les toiles de Jane Planson sont efficaces en ce sens où elles procurent trouble et bonheur ; le bonheur est esthétique, le trouble est métaphysique, donc par essence inexplicable mais absolument éprouvé et vérifié dans cette façon que nous avons d’adhérer à son travail, avec empressement et retenue, une réserve qui n’est pas une réticence mais une sorte de respect dû aux sujets engageant notre humanité, notre reflet soudainement à l’œuvre, d’où le trouble évoqué plus haut, trouble macérant dans cette réciprocité. Sans être aucunement religieux, il y a quelque chose de très ancien qui traîne dans les tableaux de Jane Planson. Cette force à peine esquissée dans laquelle se concentrent dans un même mouvement d’immanente « territorialité » à la fois la joie de la découverte et le bon et doux effroi de l’inconnu. Voir une toile de cette artiste, c’est faire l’expérience du contraire d’un « expatriement », c’est faire, oui, l’expérience d’une appropriation lente, d’un retour au pays. Nous revenons d’un exil et retrouvons dans ces visages, des traits, des expressions – sortes de vieux souvenirs distillés comme des alcools – qui nous appellent et nous remémorent que nous appartenons à une même famille, à une même terre, à un même océan ou univers à la surface duquel flotte un bercement où nous nous laissons aller.
Les visages que peint Jane Planson nous regardent, nous assignent une tâche, demandent une participation, ils réclament sans imploration, sans apitoiement, avec dignité qu’à notre tour nous soutenions ce regard et rendions comme nous le ferions à tout être vivant cette part de vie et d’attention qui rôde dans tout échange, cette impalpable impression de créer un lien, de tisser un ténu réseau de retours et réceptions, renvois et signes. Il se passe quelque chose, un champ de connexions s’ouvre, des vibrations passent, s’installent, résident dans notre esprit et irradient chez nous une fraction d’inconscient, réveillent des sensations enfouies, des rêves oubliés, des désirs oblitérés. Nous boxons avec l’obligation de ne pas « toucher », de ne pas faire mal, d’allonger le geste et le regard et de ne pas résister, d’entrer dans les cordes, se caler, sentir nos chairs saisies par une sorte de complicité diffuse et explosive. Dans chaque pore de notre peau le tableau parle et se réfugie, se compare mais ne se complait jamais. Le respect mutuel est la perpétuelle actualité de qui aime contempler une toile et tendre la main pour saisir l’invisible volonté de détruire les distances et de palper comme la perle d’un silence alors presque parfait.
Nous regardons certains tableaux comme il arrive que nous voyions dans les mers ou océans, masse sombre, se découper sur le bleu de la surface quelque navire coulé, englouti dans les profondeurs. Nous sommes ces choses naufragées apparaissant, réapparaissant parfois dans les visages des toiles et dessins, et voir dans ceux-ci comme les épaves de nos vieilles dérives orgueilleuses, flottant au gré d’une imagination légère, fluctuante, mais pour tout dire, libre.
Chaque tableau fournit à l’observateur un jardin secret. Un îlot de solitude à deux se crée, se fortifie, s’entretient, se renforce et s’affirme dans un respect constitué d’instants sacrilèges et magiques.
Il y a cette distance à détruire et le temps à reconstruire. Pas de temple, non, juste un mur, un renfoncement de brique, une alcôve, une petite pièce où accrocher un tableau, peut-être un tableau de Jane Planson. Alors se produit un phénomène étrange, le personnage sur la toile semble vous appeler, vous convaincre de bafouer l’hésitation et la peur les plus compréhensibles, et d’un peu vous approcher. Vous entendrez comme un bourdonnement, comme lorsque l’air s’épaissit, un écho lointain vous racontera une histoire, des gens, un territoire autre, un fait divers de votre vie d’autrefois. La distance prendra feu, le temps se remettra à battre comme un cœur. Ceci est expérimentable en diable ! Ce que je puis espérer, c’est que se renouvelle, pour vous, cette étrangeté de la rencontre, de la mise en présence de deux être partageant un esprit commun. Les corps se divisent, les esprits s’additionnent. Vous vous assurerez ainsi de millénaires traversés et d’espaces contraints à rétrécir, à se resserrer, à s’aimer simplement. Il y a comme une sincérité d’amour à regarder un tableau, à se laisser aller à l’acceptation et à la contemplation. Sans astreintes, sans contraintes, sans rebords, le monde enfin livré à une ivresse d’univers retrouvé, à une volonté débordant de partout et proposant une sorte de pacte secret grâce au quintette de cette main appliqué sur la paroi de la caverne et traversant les siècles pour sceller un accord, faire signe, léguer une paix et prolonger la suspension du temps et l’aspiration à une reconnaissance qui ne soit pas construite mais comprise et pesante d’une douceur enfin reçue. Cette main posée sur la roche, cette main qui dessine, peint, apprend et s’éprend d’une forme à mettre au monde et faire grandir et régner. Imaginez un gué dont chaque pierre serait un cœur à vif, pierres sur lesquelles il vous faudrait poser le pied et marcher, et avancer. Comme marcher sur le bord d’un à-pic. Peindre relève un peu de cette expérience, pas même vaguement mystique, plonger au cœur de la matière et des êtres.
Tout au long de ces lignes, de ces pages, je cherchais un mot. Je crois l’avoir trouvé, incarnation. Les dernières œuvres de Jane Planson sont des incarnations. Elles nous mettent en rapport avec le mystère d’être. L’existence n’est pas un exercice, Jane Planson témoigne de cela, apporte la preuve que la vie n’est pas une représentation mais un mouvement. Et c’est cette volonté qu’elle nous offre généreusement, sans étalage, sans compromis, sans complaisances. Elle nous fait participer à l’emprise du regard se métamorphosant, dans une seconde chance, en pulsion de reconnaissance envers la présence au monde. La pitié est absence de ces toiles. Elles excitent et aiguisent l’acuité nécessaire pour engendrer une relation égale dans laquelle tous les particularismes se complètent, se confrontent et s’opposent uniquement dans une sorte de duel à distance, doux, sensuel et respectueux. Regarder un tableau requiert une franche querelle et une obstination à ne pas tomber dans l’ornière des bons sentiments et des images mentales déjà prêtes à l’emploi. Il est utile de mettre du neuf et quelques étincelles dans l’acte d’observer, d’aller porter nos rétines chez le rémouleur ! Contempler vient ensuite, à la manière d’une récompense où l’on ne se reposerait pas mais où commencerait à se bâtir une maison de l’accomplissement et du temps aboli. Chacun des portraits n’est cependant pas une scène de crime mais comme un cri silencieusement abrasif pour l’âme et l’esprit. Jane Planson fait perdurer ce sentiment de besoin, de répétition, ce désir d’accéder à une absolue contrainte, celle d’atteindre dans le dessin et la peinture au bris du miroir afin, peut-être paradoxalement mais sûrement avec un enjeu vital, de rencontrer l’autre et ne plus l’utiliser ou le fractionner, avant de le fracasser comme un simple jouet. Pour conclure provisoirement, puisque l’œuvre est jeune, en cours et en évolution, je dirais que nous pouvons puiser sans retenue dans les toiles de Jane Planson. Nous y trouverons toujours de quoi abreuver notre besoin d’éloignement, de rapprochement, d’histoires millénaires et de liens. Ces tableaux sont les soubassements de notre combat contre l’effacement ou la disparition. Jane Planson dessille nos yeux de nos puérilités illusoires, elle a su déjà accélérer notre vie, elle saura opérer notre attente et faire tomber à terre notre cécité.
Didier Séraffin, écrivain
(extrait 2007)
Jane Planson, artiste humaniste par excellence aime les « rencontres –confrontations ». ce fut le cas voici quelques mois grâce à l’agglomération de Rouen sur les très improvisées cimaises de l’église darnétalaise Saint-Ouen de Longpaon, où elle se mesurait avec brio à l’univers de Catherine Hélie.
Souffle poétique
En cette rentrée, Daniel Amourette lui propose une nouvelle aventure en compagnie des toiles […] de Debra. La technique très particulière de Jane Planson se met au service d’une « description » étrange, portée jusqu’à l’hallucination, de notre monde de misère et d’horreur ». l’ombre de Goya, voire de Jacques Callot passe en effet dans un souffle poétique quasi surnaturel dans cette production désenchantée. L’homme étant ce qu’il est, sous toutes les latitudes, les guerres et leurs inévitables cortèges d’ignominies résonnent cruellement au quotidien dans nos mémoires. L’artiste n’accepte pas cette banalisation. Elle s’insurge, dénonce, accuse avec ses « mots ». Toutes les ségrégations lui sont insupportables. Mais, si Jane Planson ne peint pas pour ne rien dire, elle use avec ténacité d’un vocabulaire plastique aussi riche que surprenant comme en témoigne une superbe suite de croquis de nus griffés en atelier. Beau travail. […]
Rémi Parment
Paris Normandie, 20 septembre 2005.
[ …] Bien qu’elle ait montré son travail en de multiples occasions, elle parvient à nous présenter un certain nombre d’œuvres récentes. Elle occupe tout le rez- de chaussée de la galerie.
Après sa prestation de Darnétal et son exposition à la Crypte de la communauté religieuse de Saint-Aubin-les Elbeuf, on aurait pu penser que Jane Planson allait se mettre un peu en retrait. Mais c’était ignorer sa capacité de travail. De fait, la galerie Reg’Art confrontations nous révèle un certain nombre d’œuvres récentes qui ne font que conforter nos appréciations précédentes. Jane Planson est sans aucun doute promise à un bel avenir artistique pour peu que les collectionneurs lui consacrent un peu d’attention. Empoignant ses sujets à bras-le-corps, elle parvient à leur extirper une présence parfois inquiétante. Nus, portraits, dialogues entre différents personnages révèlent leur part secrète d’humanité sans toutefois lever le voile.
Confronté à l’adversité ou traversant une trêve, chacun de ces êtres pourrait faire sienne la formule qui accompagne le fascinant portrait de Georges Sand : « tout se concentre en moi comme dans une eau immobile » ;
les « acteurs » de ce drame cosmique se retrouvent face à leur destin, grandis par leur dénuement même. On dirait des apparitions traversant l’espace de la toile qui, ça et là, laisse voir sa rugueuse contexture.
Par un emploi subtile et maîtrisé de la cire, cette peinture sans épaisseur et quelque peu évanescente parvient à nous donner l’illusion d’une scène vécue, d’un instant figé dans la trame exaltée des évènements de la planète. L’intimité du corps rejoint toute la douleur du onde et en évoque l’absurdité. Effacés par l’épreuve, ces êtres méditent en silence. Les évènements qu’ils affrontent les renvoient tous à leur anonymat originel, à la poussière et au magma. « Etre, c’est être coincé » a écrit E.M Coran (Ecartèlement ; Gallimard Editeur). Coincé entre passé et avenir, fac à un présent vacillant et démesuré, terriblement aveugle à la dignité de la vie. Cheminant à la dérobée, Jane Planson réinvestit la chair frémissante du monde là où d’autres ne vient qu’une succession d’images privées de sens. […]
Luis Porquet
Les Affiches de Normandie, septembre 2005
[...] Pour Jane Planson, que défend Daniel Amourette, la vision de l'humanité n'apparaît guère plus lénifiante. Sa peinture nous ramène au plus intime de la souffrance, de la solitude sans appel dont pâtissent des millions de gens minés par le vice lucratif de la guerre. Pas de décor ou presque, mais l'omniprésence des visages que l'immense vide environnant rend douloureusement expressifs. Reflets purs d'une actualité que les médias digèrent avec un cynisme effarant ou un ersatz de bonne conscience. Allusion à une tragédie qui n'a pas pour scène un théâtre mais une avenue ouverte aux offensives de la mitraille. Irak, Rwanda, Israël, rêve et cauchemar palestinien...
mais aussi visions plus paisibles d'êtres proches ou voisins. Qu'importe ! La chair nue est partout la même, révélant l'homme livré au temps, à ses morsures, qu'il s'agisse d'autoportraits ou de scènes extérieures. Un artiste ne fait jamais qu'exprimer ce qu'il porte en lui. Sa souffrance devient rédemptrice quand elle nous ouvre à celle des autres. Tout homme blessé est notre frère, tout rêve piétiné accroît la douleur commune du monde. Econome de moyens, mais d'une puissance troublante, voire bouleversante, la peinture de Jane Planson se révèle d'une éclatante salubrité. Face à tous ceux dont le talent ne fait que flatter le nombril, elle redonne à l'acte pictural toute sa légitimité. L'art n'est mort que pour ceux qui n'ont jamais rien eu à dire.
Luis Porquet
Les Affiches Normandes du 24 novembre 2004
L'horreur de la guerre
Cette [Jane Planson] intellectuelle, au meilleur sens du terme, a toujours eu le courage de peindre notre temps. Non pas celui fleurs bleues des vaches repues à la mode européenne. Mais celui des populations plongées dans le marasme de la misère, la guerre, la mort. Elle témoigne en son âme et conscience de l'horreur de la guerre, comme un Goya ou un Jacques Callot. Artiste, Jane Planson témoigne à sa manière, elle ne souhaite pas expier ni monter sur le bûcher. Elle peint pour que l'on n'oublie pas. Il est vrai que les infos distillent au quotidien leurs lots de malheurs prédigérés. Trop, c'est trop, et le trop-plein finit par se faire abstrait. On ne mesure plus à l'aune de la douleur, on digère la statistique. C'est là où l'artiste cimente sa vérité. Une toile, c'est un cri, un de plus, mais insoutenable dans sa nudité absolue.
Ecorchée vive
Jane Planson, écorchée vive, possède une technique qui ne laisse rien au hasard. Cette écriture là émeut sans doute plus que bien des discours. Car elle possède la puissance de la suggestion, plus que de la démonstration. Son art qui vibre face aux vitraux de Saint-Ouen de Longpaon [...]
Rémi Parment
Paris Normandie du 02/11/04
Lui, c'est Samuel, elle, c'est Nora, l'un est Mauritanien, l'autre Rwandais, l'autre encore Irakien. Jane Planson exprime avec talent la souffrance à travers la peinture de visages. Une souffrance indescriptible, tellement forte qu'elle touche le regard du visiteur. cette artiste hors du commun peint avec sang froid l'horreur de l'existence. "J'ai fait un voyage il a dix ans en Israël en plein coeur du conflit Israélo-palestinien, explique l'artiste. Mon regard a alors été transformé. Ce clivage entre les deux religions m'intéressait et je l'ai peint. Et à chaque fois, le scénario est le même. Lors de premier jet, le contour des visages est net et les couleurs sont fortes. Une fois d'ailleurs, j'ai représenté le conflit rwandais avec mon propre sang. Puis finalement une fois terminé, j'ai besoin de marquer
une distance entre mon tableau et celui qui le regarde. Alors un long travail s'opère.
Je reprends mes tableaux en atténuant, modifiant, brouillant les couleurs et notamment avec de la cire."
C'est avec beaucoup de difficultés que Jane Planson décrit son travail. "Je ne parviens pas à comprendre ce que je veux exprimer. Je montre quelque chose qui est de l'ordre de l'interrogation", explique cette enseignante rouennaise, agrégée d'art plastique. Avec beauté et douceur, l'artiste soulève une à une les questions essentielles de l'existence ; chaque spectateur est ensuite libre d'y apporter ses réponses. Jane Planson est profondément pessimiste et ses tableaux sont empreints de tristesse.
Elle retrace l'horreur de l'existence tout en tentant de diluer la souffrance. Et c'est finalement la douleur de l'artiste qui perce et se révèle. "Je ne crois pas au progrès humain, car pour moi, l'homme n'est pas capable de prendre la mesure de sa mémoire. Avec la peinture, j'ai surtout trouvé le moyen d'exprimer un trop plein que j'absorbe et que je rejette". Le résultat est impressionnant. A travers une trentaine de toiles présentées, Jane Planson est en accord avec la thématique fixée par l'Agglo de Rouen "Symbolisme et onirisme". Cette artiste a la capacité de faire rentrer un conflit, une guerre froide, au chaud dans une galerie pour le plus grand plaisir des yeux.
Liberté Dimanche (31/10/04)
[...] Intellectuelle, passionnée par l'écriture, le mot, le texte, Jane Planson engagée dans la tourmente, notre pain quotidien, accompagne les hommes, les femmes plongées dans l'oeil du cyclone...politique. Irakiens, Algériens, Africains du Rwanda...
Elle dénonce en une feinte demi-teinte toutes les souffrances, les misères, les intolérances. Elle prend fait et cause pour les parias de la terre contre les vainqueurs va-t-en guerre. Son épée, c'est le pinceau avec lequel elle pourfend toutes les sagesses et les idées trop bien recues.
Un art original, s'appuyant sur l'ellipse, le non-dit...pour mieux dénoncer les vilenies de ce bas monde. Une goutte d'eau dans l'océan d'immondices que charrie notre histoire, mais une vérité courageuse à dire. D'autant que picturalement l'artiste domine son discours avec brio.[...]
[English Version]
[...] Intellectual, with a passion for writing, words and literature, Jane Planson swept by the tormenting flow of life, our daily grind, joins the men and women blown into the cyclone's eye of politics : Irakians, Algerians, Africans from Rwanda...
She denounces with a faked softness, ail the suffering, the misery and the intolerance. She takes sides with the pariahs of the world against the warmongers and the conquerors. Her sword is the brush, which she uses to break conventional wisdom and prevailing preconceived ideas.
An original art, based on the elliptic connotations, the omission... to better denounce the meanness present on this earth. A drop of water in the ocean of trash conveyed by our history, but a courageous truth to bring up. All the more, since the artist masters her pictorial technique with success! [...]
Rémi Parment
juin 2003, Paris-Normandie
Me voici confronté à une situation peu courante dans le métier : l'artiste à qui je consacre ce bref exposé a pratiqué la critique en arts plastiques, théâtre, photographie, danse, pour nombre de revues rouennaises, dont une "Avant Seine" où je sévis quelques temps !
Bienvenue donc, et amitié confraternelle à Jane PLANSON dont le bagage artistique et le palmarès ont de quoi faire pâlir et réfléchir certains artistes bien en cours auprès des amateurs.
Le C.I.N., sous l'égide de Joseph LE MEUR et de Claude HOUQUES, l'accueillit avec succès à l'Hôtel du Bourgtheroulde, à Rouen, et au gré d'expositions à la Grand'Mare, à Sotteville les Rouen ou au Grand Quevilly, où de nombreux visiteurs ont eu l'opportunité de remarquer sa manière approfondie de concevoir le portrait, grâce à sa belle technique qui saisit l'esprit au fil d'une manière singulière et attachante qui honore l'art contemporain et offre au figuratif une pérennité conviviale et pleine de repères et de leçons.
Jane PLANSON peut écrire sur la peinture d'autrui car son talent et son intelligence s'accordent en liberté dans une discipline délaissée par les médiocres et dont elle active avec brio la confrontation.
André Ruellan, critique d'art
Jane Planson est de ces peintres qui (re)viennent de l'art contemporain, brut, abstrait ou conceptuel, pour aller vers la figure. La figure humaine est en effet peut-être la forme d'expression artistique la plus durable chez l'homme. Regarder l'humain représenté sur une toile n'est-il pas finalement depuis toujours l'un des sujets favoris du spectateur ? Cet humain représenté, figuré, interprété, est comme un miroir, qui interroge sur notre propre existence, sur nos sentiments, nos idées, nos valeurs et nos croyances. Voir l'humain, l'autre ou soi-même, représenté sur une toile est une expérience initiatique, qui nous transforme et nous enrichit.
Jane Planson montre, peint, restitue les interrogations intimes de l'être humain. Elle questionne nos relations avec la mort, avec la vie, avec autrui, avec le monde, avec le temps, avec l'espace. Les personnages de Jane Planson se perdent, se cherchent, se fuient, se jaugent, se font face ou se tournent le dos, cohabitent dans le même espace malgré leurs différences, affrontent l'altérité, sexuelle, ethnique ou temporelle. Se confrontent dans l'univers du peintre l'universalité d'espèce et l'irréductible individualité des hommes. Tous pareils. et pourtant tous différents ! Pour paraphraser l'exposition de l'artiste à la Grande Arche de la Défense en 1999.
Aucune notice d'emploi, aucune clef de décodage ne sont nécessaires pour recevoir l'oeuvre de Jane Planson. Son oeuvre est directe, visible, accessible à tous. Elle n'est pas élitiste, au mauvais sens du terme, mais démocratique, universelle. Libre à chacun, s'il prend le temps de regarder et méditer, d'y retrouver et explorer ses propres interrogations.
[English Version]
Jane Planson establishes herself as a known artist in the realm of new figurative painting, which explores the depths of humanity, individual humanity, collective humanity. We know that the human figure, from immemorial times and for ages to come, fascinates the spectator's eye and mind, maybe because it acts as a mirror; that questions us about our own existence, feelings, values and beliefs. The other's eye is a questioning about one's self.
Jane Planson explored the feelings and the behavior, joys, doubts, suffering, love and hate, of the humans of our time. She observes the relationships between people who know ; ignore, fear, desire, or run away from each other... between people who come to life, grow up, age , and die... people who dream, work, dance, chatter, or rest, people who live or survive, depending on their birth place, depending on where they are, depending on what time it is. Here or there. Home or away. In Asia, America, or in the Middle East.
Her works are not trying to reach only a few, but are open to all, aiming for universality.
May these images, brushed, stolen, taken, extracted from the depths of the human soul... could bring wisdom to us ! May everyone observe, ponder, meditate, answer to his own answer his own questions, and find his own way.
Christophe Chomant, éditeur.
Visages inquiets ou rêveurs, silhouettes diaphanes, évanescentes. Apparitions, disparitions, comme des vies qui se figent, se pétrifient dans une éternelle attente. Les peintures de la Rouennaise Jane Planson sortent de l'ordinaire et sont en dehors de toute mode. L'artiste s'interroge par le biais de la toile sur la condition humaine où "tout est toujours, à chaque instant, à reconsidérer, à jauger...".
Images mentales sur toile pour que ne meurent pas les désirs, les intuitions, en les fixant par la peinture. Huile et cire teintée de pigments, estompées à l'essence de térébenthine pour matérialiser la patine ou l'usure du temps, les rêves encore vivants ou l'espoir qui s'étiole.
"Vague à l'âme", ni tristesse ni regret, simple constat lucide d'une femme qui sait observer sans se laisser désabuser et se laisser transcender par son art.
Bruno Ravalard
Le courrier Picard, avril 2000
(...) Autre figure marquante de cette édition 2002, Jane planson confirme l'espoir né de ses récentes apparitions dans les salons de la région. S'interrogeant sur la réalité énigmatique, évanescente des êtres ,... comme Kundera a pu le faire dans ses romans, ce jeune peintre produit une très forte impression par sa maîtrise de la composition et l'étrange sentiment émanant de ses oeuvres. Entre inquiétude et nostalgie, des visages surgissent de la brume sociale, comme s'ils voulaient nous dire quelque chose d'essentiel et d'irremplaçable. (...)
Luis Porquet, critique d'art
Les Affiches de Normandie, 6 mars 2002
Deux corps, deux visages et deux regards énigmatiques.
Ceux, à peine saisissables, d'un homme et d'une femme, prisonniers du vide suggéré entre eux. Dans Vague à l'âme, la composition qu'elle expose à l'hôtel de ville de Rouen, Jane Planson dépeint l'illusion voire l'impossibilité de la relation à l'autre. "Le rapport à autrui manque singulièrement d'évidence, l'homme et la femme nous échappent toujours. C'est mystérieux, magique et infiniment riche à la fois. C'est cette magie la que je souhaite communiquer. C'est aussi, en conséquence, la solitude relative de l'individu si proche à certains moments et plus étrange qu'un scarabée à d'autres" explique la peintre.
Tableau mélancolique
Sa technique souligne ce manque de lisibilité de la relation à autrui. Jane Planson utilise des pigments mélangés avec une huile de lin et de la cire d'abeille (...)
Vague à l'âme est son tableau le plus mélancolique qui s'inscrit dans une série de tableaux plus violente (...)
[English Version]
Two bodies, two faces, and two enigmatic looks.
Those, barely identifiable, of a man and a woman, prisoners of the emptiness suggested by the space between the two. In "Vague à l'âme", the painting exhibited at the Hôtel de Ville de Rouen, Jane Planson depicts the illusion, or maybe the impossibility of a relationship with another. "The perception of the other singularly lacks evidence, the men and the woman always seem to vanish. It is mystehous, magical and infinitely rich at the same time ! It is this magic which I wish to communicate. It is also, consequently, the relative solitude of the individual so close at some moments and stranger than a beetle at other times !" explains the painter.
Her technique underlines this lack of understanding in the relation to the other... "Vague à l'âme" is her most melancholic painting, which is part of a series of more violent works.
Paris Normandie
[...] Pour la rouennaise Jane Planson, artiste en plein essor, la fin des idéologies n'est sans doute qu'un leurre tragique. Si certaines utopies semblent avoir déserté les lieux, le système dominant, lui, demeure parfaitement en place, suscitant l'injustice, la violence et la guerre qu'il prétend chaque jour combattre, écrasant de tout son mépris les plus fragiles de la planète. Au plus proche de ceux qui souffrent et sont, le plus souvent, privés d'avenir et de parole, Jane Planson travaille dans l'urgence, peignant des êtres et des visages à bout portant (Elé, Gaza).
Pris dans la tourmente meurtrière, ses personnages nous parlent du plus intime de leur humanité (Rwanda, sept ans après... ; Les volontés du père ; A la frontière iranienne ; Alger ; Castes confuses). L'atmosphère fuligineuse de ces oeuvres très personnelles souligne le peu de poids des hommes dans un monde perverti par la haine et l'argent. Ne versant jamais dans le mélo, cette peinture d'une grande dignité est un acte politique et artistique sans complaisance. Face à la décomposition, que peut le peintre, sinon montrer l'insoutenable. Cela vaut toujours mieux que de traquer l'insignifiant. Voilà le genre d'œuvres qu'on aimerait (aussi) voir au FRAC !
Luis PORQUET
2 juillet 2003